ailleurs n’existe pas
stéphanie auberville
du 27 au 31 janvier à 20h00
Pour les peuples premiers d’Amérique, la terre est partout. Ailleurs n’existerait donc pas. « Elsewhere doesn’t exist », dit justement la militante écologiste, Julia Butterfly Hill, après qu’elle a vécu deux années dans un séquoia géant pour empêcher son abattage.
C’est dans cette relation à la terre et à tout le vivant qui nous entoure et nous compose que la chorégraphe Stéphanie Auberville s’inscrit pour cette nouvelle création.
Accompagnée sur scène, d’une céramiste, de musiciennes et d’autres invité·es, Stéphanie Auberville nous invite à nous aventurer avec ell·eux dans des zones troubles. Des paysages où il sera question d’invisible, d’écologie, de danses traditionnelles, de dialogue entre ici et là-bas (qui donc n’existe pas), de fantômes et d’esprits qui pourraient bien décider de nous rejoindre. Histoire de danser, un moment, avec nous.
Terranité et Trajectoires
Si le mot humanité nous est indispensable, le concept de « terranité » quant à lui nous fait cruellement défaut. La terranité serait la sensation d’appartenir à la terre au même titre que toutes autres entités qui y vivent. Car s’il y a bien une chose que la COVID nous a apprise c’est qu’un être minuscule peut chambouler nos vies à l’échelle planétaire.
J’ai commencé à rechercher ce que pourrait être ce concept de « terranité », de quoi serait-il constitué et dans quelle partie du monde je pourrais en trouver des traces ? Les interviews de Julia Butterfly Hill m’ont vite amené vers les pensées des peuples premiers et à leurs rapports au monde, à la nature et à l’écologie.
Des frottements, alors s’opéraient, mon esprit cartésien et ma culture athée étaient malmenées, j’arborais jusqu’alors avec fierté l’appartenance à une famille qui ne baptisait pas ses enfants depuis 1915. Et aujourd’hui, je ne savais plus quoi faire de cette fierté.
L’esprit des Lumières et la science moderne s’est arrachée de « l’obscurantisme », du monde des esprits et des invisibles, de cette opposition sont nées la médecine, le progrès, la rationalité. Je suis un pur produit de cette pensée moderne, et je devais admettre la force destructrice de cette modernité aussi bien sur le plan écologique que sur le plan humain. Je ne savais pas comment faire cohabiter ces deux formes : la science moderne et la rationalité avec les conceptions écologiques des peuples premiers, intrinsèquement liées au monde des esprits et des invisibles.
C’est dans ce contexte que j’ai rencontré la guérisseuse Mapuche María Quiñelén. Nous sommes allées en forêt de Soignes et avant d’entrer dans le cœur de la forêt, elle s’est arrêtée et a demandé l’autorisation aux esprits de la forêt de pouvoir entrer, en partant elle a remercié la forêt pour son accueil. Ces pratiques de respect et de gratitude m’ont bouleversées car il est facile de mesurer à quel point notre environnement moderne ne les sollicite pas, et à quel point elles sont porteuses de résistance et de luttes. Elles sont indissociables de la notion de sacré, et je ne savais pas du tout quoi faire avec ça.
Dans ma vie, je pouvais donner à la danse, la littérature et la culture en général une place sacrée, toutes proportions gardées.
J’avais perdu des personnes chères pour qui je refusais de « faire mon deuil » de peur de les oublier et j’avais fait une place dans mon quotidien à leurs esprits que j’ honorais régulièrement en leur demandant parfois des conseils et avec qui j’avais des conversations à la fois imaginaires et bien réelles. Ça s’arrêtait là, je n’accordais pas la notion de sacré à une plante, un animal, j’avais écrit un texte féministe qui se terminait par tous les corps sont sacrés mais je n’allais pas au-delà.
« Par hasard, je suis allée dans le Larzac, où j’ai rencontré des personnes dont les savoirs sont à la croisée de la modernité et des pratiques ancestrales. Elles habitent le Larzac suite aux luttes de territoires qu’elles ont gagnées. Elles ont réfléchi depuis les années
80 à d’autres rapport de production et de manières de vivre avec la nature, à d’autres façons d’habiter. Avec elles j’ai appris que ce que je cherchais ne pouvait pas uniquement se découvrir dans des lectures et les podcasts, la terranité et l’écologie étaient des pratiques.
Celle qui m’est le plus accessible est la danse, les danses trads, ces danses qui se pratiquent en bal, qui sont bien vivantes et si éloignées des folklores pour les touristes. Je suis allée danser avec les gens du Larzac et j’ai eu un coup de foudre pour les danses trad.
J’ai alors commencé à me former pour mieux comprendre et à voyager pour en collecter toutes les subtiles variations.»
Stéphanie Auberville
« J’ai grandi à la campagne, dans le sud. Je me souviens de la sensorialité des paysages, des couleurs fortes, des odeurs, d’aimer courir, nager, grimper, de la chaleur sur la peau comme d’une matrice de toutes les danses qui me traversent aujourd’hui.
Jeune adulte, je me suis échappée d’un cursus scientifique pour plonger dans la danse. Je l’ai décidé comme ça, sur un coup de tête, je suis partie. J’ai d’abord traversé toutes les techniques de danses modernes américaines, Graham, Cunningham, Lester Horton, Limon, Trisha Brown, que j’ai généreusement entrecroisé avec des cours de technique allemande, de Butô de Kasuo Ohno et de danse contemporaine africaine d’Elsa Wolliaston.
Plus j’explorais, plus les connaissances du mouvement devenaient plurielles, plus la danse déployait devant moi des pensées du corps, plus c’était infini et joyeux. J’étais danseuse. Jusqu’au jour où tout m’est apparu trop formel et j’ai douté, je ne savais plus ce que je faisais sur les plateaux de danse et j’envisageais d’arrêter.
Pile à ce moment, la Post Modern Dance américaine m’a percutée de plein fouet. J’ai plongé dans le travail des pionnièr·es du Contact-Improvisation, dans les pratiques de Simone Forti, Déborah Hay et la recherche de Lisa Nelson et des Tunings scores qui aujourd’hui encore sont mon ancrage.
Au cours de ces 20 années d’explorations, ces pratiques ont transformé mon travail de danseuse mais toujours avec, comme même fil rouge, la question de chercher une danse, une danse pour aujourd’hui. »
Stéphanie Auberville
Conception : Stéphanie Auberville
Musique : Clara Levy et invité·e
Scénographie : Myriam Martinez
Conseils : Myriam Van Imschoot
Interprétation : Stephanie Auberville, Clara Levy et invité·es
Présentation : Charleroi danse, centre chorégraphique
de Wallonie-Bruxelles (Be), la Balsamine (Bruxelles, Be),
Coproduction : la Balsamine (Bruxelles, Be), Charleroi danse, centre chorégraphique de Wallonie-Bruxelles (Be)
Soutiens : Ramdam (Sainte Foy-lès-Lyon,Fr), Studio Thor (Bruxelles,Be)
Photo : © Nour Beetch